La télérééducation s’est imposée dans les cabinets et structures de MPR : un progrès d’accès aux soins, mais aussi un test grandeur nature pour l’alliance thérapeutique. Que dit la preuve ? Quelles limites ? Et comment sécuriser la relation soignant-patient à distance, dans le cadre français 2024-2025 ?
Définition et périmètre (rappel pratique)
La télérééducation regroupe des actes d’évaluation, d’éducation thérapeutique et d’exercices guidés en visiotransmission, avec traçabilité dans le dossier et compte-rendu. En France, elle s’inscrit dans le télésoin au sens réglementaire, soumis aux exigences de qualité et de confidentialité définies par la HAS (environnement, équipements, conditions de réalisation).
Indications fréquentes (2025) : suites d’AVC, BPCO/réadaptation respiratoire, affections musculosquelettiques (douleurs chroniques, post-op), maintien des acquis. (Nature)
Ce que dit la preuve (2019-2025) : efficacité, limites, sécurité
BPCO / réadaptation respiratoire
Une revue systématique 2024 (16 études, n = 3 190) montre des bénéfices modestes (activité quotidienne ↑) sans supériorité clinique constante vs présentiel (6-MWT, dyspnée, QoL). La téléréhabilitation est pertinente en complément, surtout lorsque l’accès est limité.
Des revues 2025 confirment de bons niveaux d’adhésion et de satisfaction, avec une hétérogénéité des protocoles. (MDPI)
AVC
Les synthèses récentes (méta-analyses 2023-2024) suggèrent une efficacité comparable au présentiel pour l’équilibre et certaines fonctions, mais avec effets hétérogènes et impact moins net sur l’autonomie/qualité de vie ; intérêt majeur pour la continuité post-retour à domicile. (Frontiers)
Musculosquelettique (MSK)
Plusieurs revues 2024-2025 montrent une non-infériorité globale de la télérééducation pour la douleur et la fonction vs face-à-face, avec des gains comparables quand l’intervention est structurée (exercices + éducation + suivi). Une NMA JOSPT 2025 compare les modalités de telerehab dans la douleur MSK chronique et confirme l’efficacité, avec des différences liées surtout à l’intensité du coaching et à l’engagement. (JMIR)
Des ECR 2024-2025 suggèrent un bénéfice modeste additionnel quand le télé-suivi est couplé à des capteurs/portails. (Nature)
Sécurité, qualité et équité
L’OMS (guide consolidé 2022, mis en avant par l’Organisation en 2024) insiste sur l’intégration dans un parcours hybride, la formation des soignants, l’évaluation continue (processus/résultats/équité) et l’accessibilité des services de télé-santé.
À retenir
La télérééducation est non-inférieure sur de nombreuses issues (MSK) et utile en complément (BPCO, AVC). Sa valeur dépend fortement de la qualité relationnelle et de la structuration des séances. (JMIR)
Relation soignant-patient à distance : risques & leviers
La télérééducation change nos repères. À l’écran, on perd parfois des petits signaux — un soupir, une crispation — qui aident le soignant à ajuster sa prise en charge. La Haute Autorité de Santé (HAS, 2024) rappelle aussi un risque de gêne côté patient : pièce mal adaptée, peur d’être “entendu”, connexion instable… autant de freins qui peuvent casser le fil de la discussion. L’Organisation mondiale de la santé (OMS, guide 2022 mis en avant en 2024) insiste, elle, sur l’équité d’accès : sans bon équipement ou accompagnement, certains patients décrochent.
La bonne nouvelle, c’est qu’on sait comment y remédier. D’abord en posant le cadre : prévenir que la séance est confidentielle, vérifier l’angle de la caméra et l’éclairage, expliquer le déroulé. Ensuite en co-construisant des objectifs simples et mesurables, et en vérifiant la compréhension par une reformulation (“Vous me redites le mouvement ?”). Enfin, en gardant le lien entre deux séances (message bref de rappel, retour sur les objectifs). Suivre ces réflexes, recommandés par la HAS et l’OMS, permet de préserver l’alliance thérapeutique… même à distance.
6 rituels de séance (check-list relationnelle)
- Brief d’ouverture (agenda, durée, objectifs) + consentement spécifique au télésoin.
- Sécurité & confidentialité : pièce calme, champ caméra sur le mouvement, éclairage, tiers absent.
- Mesure initiale (1-2 PROMs ciblés) et critères d’arrêt.
- Démonstration + reformulation patient (teach-back).
- Feedback structuré (répétitions, charge, douleur acceptable/RPE) et suivi des objectifs.
- Clôture (récapitulatif, plan avant J+7, message asynchrone de renfort).
France : règles 2024-2025 pour les masseurs-kinésithérapeutes (à connaître)
- Seuil d’activité : 20 % de l’activité conventionnée annuelle maximum réalisable en télésoin (suivi et plan de contrôle par l’Assurance Maladie). (Ameli)
- Facturation : lettre-clé TMK depuis le 9 février 2024 (mêmes coefficients que l’acte substitué, règles NGAP ; pas de cumul avec déplacements). (Circulaires Ameli)
- Traçabilité & numérique : compte-rendu intégré au service “Mon espace santé” du patient ; conservation dans le dossier/BDK. (Circulaires Ameli)
- Qualité/conditions : visiotransmission obligatoire et respect des recommandations HAS 2024 sur les lieux & conditions d’environnement (confidentialité, équipements, sécurité, accès). (Haute Autorité de Santé)
Check-list opérationnelle avant de lancer une séance (HAS + OMS)
- Adéquation patient-acte : indication compatible, cognition/équipement/aidant, sécurité du domicile.
- Environnement : caméra à hauteur des yeux, champ complet, éclairage, confidentialité assurée.
- Parcours & docs : bilan récent, objectifs SMART, consentement documenté, compte-rendu vers Mon espace santé.
- Évaluation : PROMs/ROMs standardisés, calendrier de suivi, gestion des EI/EIG.
FAQ
La télérééducation est-elle “aussi efficace” que le présentiel ?
Souvent non-inférieure (MSK), mais sans supériorité systématique ; l’organisation et l’adhésion pèsent lourd.
En BPCO, le gain est-il majeur ?
Plutôt modeste et variable ; utile pour lever des barrières d’accès et maintenir l’activité.
Comment préserver l’alliance thérapeutique ?
Scénariser la séance (6 rituels), vérifier la compréhension, co-construire les objectifs, feedback régulier, cadre HAS.
Conclusion
Progrès ou menace ? Plutôt un progrès d’organisation lorsqu’elle est hybride, ciblée et qualifiée : les effets cliniques sont au moins comparables dans de nombreux scénarios (MSK), et complémentaires en BPCO/AVC. La relation n’est pas un obstacle si l’on structure la séance et si l’environnement respecte les exigences HAS — avec un cadre CNAM (TMK, 20 %) désormais stabilisé.
Important — Informations à visée éducative, ne remplacent pas un avis médical. En cas de question personnelle, consultez un·e professionnel·le de santé.
Sources
- HAS (29 févr. 2024). Lieux et conditions d’environnement pour la réalisation d’une téléconsultation ou d’un télésoin. (Décision & recommandations). (Haute Autorité de Santé)
- Assurance Maladie (2024-2025). Télésoin – conditions, facturation TMK, seuil 20 %. (Ameli)
- OMS (2022, mis en avant 2024). Consolidated telemedicine implementation guide ; Global strategy on digital health 2020-2025 (suivi). (Organisation mondiale de la santé)
- Ayala-Chauvin M., 2024. Web-based pulmonary telerehabilitation: systematic review. npj PCRM. (Nature)
- Su Z., 2023. Telerehabilitation for balance after stroke: meta-analysis. Frontiers in Neurology. (Frontiers)
- Neurology Asia, 2024. Telerehabilitation post-stroke: meta-analysis. (Neurology Asia)
- Alwadai B., 2024. Umbrella review – telerehabilitation after stroke. J Clin Med. (MDPI)
- Bargeri S., 2024. Umbrella review – telemedicine & MSK disorders. J Med Internet Res. (JMIR)
- Molina-García P., 2024. Effectiveness & cost-effectiveness of internet-based telerehabilitation in MSK recovery. (Elsevier/Masson). (PubMed)
- JOSPT, 2025. Systematic review with network meta-analysis – chronic MSK pain (telerehabilitation). (JOSPT)
- Image par MaximeUtopix.
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Alejandro Rojas
Masseur-kinésithérapeuteFondateur du média Première Santé, Alejandro Rojas est masseur-kinésithérapeute diplômé depuis 2005, spécialisé en kinésithérapie respiratoire. Il a exercé en soins intensifs, en pneumologie, en cabinet libéral, et travaille aujourd’hui dans un service de soins palliatifs.
